Votre chambre

Vous m’avez invitée dans votre chambre d’écriture. Nous sommes quelques privilégiés silencieux à nous glisser entre les draps de vos mots. Je choisis de vous parler dans mon grand salon blanc, car je n’ose venir violer votre intimité ni endiguer le cours de votre écriture par un mail trop direct. Etrange, votre chambre était devenue si bruyante que vous vous êtes vue obligée d’en refermer la porte, alors que mon salon, ouvert à tous les vents, est bien tranquille ; les gens y passent, s’y arrêtent, s’attardent parfois et repartent la plupart du temps sur la pointe des pieds, sans commentaire. C’est à cause des mots, si les miens érigent des barricades, tiennent à distance, les vôtres sont sertis dans votre chair, ils enclavent le lecteur en vous. D’ailleurs vous comparez votre sang à de l’encre. Quand je vous lis, j’ai l’impression d’être un couteau à lame télescopique. A chaque phrase, je me dis que je ne peux entrer plus profondément, qu’un point va stopper l’hémorragie, mais non, je continue de m’enfoncer dans votre intimité, d’en traverser tous les organes, oui votre écriture est organique, et c’est vertigineux. Je vous demande pardon, mais je vais quitter votre chambre. J’étouffe de vous lire étouffer. J’ai l’impression que votre lit est fait de terre. Je vous y imagine échevelée, creusant et creusant encore entre les draps limoneux, essayant d’exhumer un amour mort avec des mots. Et même si vous y mettez toutes les variations du ciel, le murmure de ces étangs, de ces ruisseaux, de cette eau claire que vous affectionnez tant, même si vous y mettez du sang, du suc et des baisers, les mots ne pourront jamais ressusciter l’amour d’un homme, non, je n’y crois pas. Son amour-propre certainement (vous avez du talent) mais pas son amour. Allez à la fenêtre de votre chambre, et regardez dehors. Il peut encore faire beau, vous savez ?